Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lâtré tout un heureux jour, avaient été emportés pour employer à dormir une paisible nuit.

Pendant que les compliments allaient leur train entre le jeune Bracebridge et sa famille, j’eus le loisir d’examiner la pièce où je me trouvais. Je l’ai qualifiée de grande salle ; bien certainement c’en avait été une autrefois ; et il était évident que le Squire s’était efforcé de la remettre à peu près dans son état primitif. Au-dessus de la lourde et saillante cheminée était suspendu le portrait d’un guerrier armé de toutes pièces et debout près d’un cheval blanc ; sur la muraille opposée se détachaient un casque, un bouclier et une lance. À l’une des extrémités était enfoncée dans le mur une énorme paire d’andouillers, dont les branches servaient d’agrafes à suspendre les chapeaux, les fouets et les éperons ; dans tous les coins de l’appartement se voyaient des fusils de chasse, des lignes pour la pêche, et autres engins de même nature. L’ameublement était dans la manière incommode des anciens jours, bien qu’on eût ajouté quelques articles de confortable moderne, et que le plancher de chêne eût été recouvert d’un tapis ; le tout offrait un bizarre mélange de salon et de grande salle.

La grille avait été retirée de la vaste cheminée pour faire place à un feu de bois, au milieu duquel était une énorme bûche projetant un immense volume de lumière et de chaleur : je compris que c’était la bûche de Noël, que le Squire avait eu bien soin de faire apporter et allumer la veille de Noël, suivant l’ancienne coutume[1].

C’était charmant, en vérité, de voir le vieux Squire, assis dans son fauteuil héréditaire, au coin du foyer hospitalier de ses ancêtres, jetant autour de lui ses regards en soleil d’un système, dardant la chaleur et la joie sur tous les cœurs. Le chien couché par terre à ses pieds lui-même, quand il changeait nonchalamment de position et bâillait, regardait avec amour son maître au

  1. La Bûche de Noël est un gros bloc de bois, quelquefois un tronc d’arbre, qu’on apporte dans la maison avec de grandes cérémonies la veille de Noël, qu’on place dans le foyer et qu’on allume avec le tison formé par la bûche de l’année précédente. Tant qu’elle durait il y avait force rasades, chants et narrés d’histoires. Quelquefois elle était accompagnée de chandelles de Noël ; mais dans les chaumières la seule clarté provenait de la lueur d’un rouge pâle que jetait le grand feu de bois. La bûche de Noël devait brûler toute la nuit ; si elle s’éteignait, c’était considéré comme un présage de malheur. Herrick en parle dans une de ses chansons : —


    Arrivez, apportez au bruit de vos chansons
    La bûche de Noël, ô mes joyeux garçons !
    Place au foyer pour elle, et que le feu rayonne !
    Amis, de l’abandon ! la bonne femme ordonne
    Qu’on soit bien gai, qu’on boive à l’espoir des beaux jours
    Au plein succès de ses amours.


    La bûche de Noël se brûle encore dans bien des fermes et des cuisines en Angleterre, particulièrement dans le nord ; il y a même plusieurs superstitions qui s’y rattachent, en honneur parmi les paysans. Si, pendant qu’elle est en train de brûler, il arrive une personne qui louche ou qui soit nu-pieds, c’est considéré comme un mauvais présage. Le tison qui reste de la bûche de Noël est soigneusement mis de côté pour allumer le feu de Noël de l’année suivante.