Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/212

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selon les règles, et le gui, avec ses baies blanches, pendait au milieu de la pièce, à l’imminent péril de toutes les jolies servantes[1].

Les domestiques étaient si absorbés par leurs divertissements que nous dûmes sonner à plusieurs reprises avant de pouvoir nous faire entendre. Lorsqu’il eut appris notre arrivée, le Squire sortit pour nous recevoir, accompagné de ses deux autres fils : l’un un jeune officier près l’armée, alors à la maison par suite de congé ; l’autre un élève d’Oxford, tout frais émoulu de l’université. Le Squire était un beau vieux gentilhomme à mine florissante, aux cheveux argentés bouclant légèrement autour d’un visage ouvert et vermeil, dans lequel un physionomiste qui aurait eu l’avantage, comme moi, d’une ou deux notions préliminaires, aurait pu découvrir un singulier mélange de bienveillance et d’originalité.

Chaudement affectueuse fut l’entrevue. Comme la soirée était déjà fort avancée, le Squire ne voulut pas nous permettre de déposer nos habits de voyage, mais nous introduisit tout de suite auprès de la compagnie, qui était réunie dans une immense grande salle d’un style gothique. Elle se composait des différentes branches d’une famille aux nombreuses ramifications, où se trouvait la proportion habituelle de vieux oncles et de vieilles tantes, de confortables dames mariées, de filles surannées, de rougissantes cousines de campagne au visage épanoui, de jouvenceaux ayant à peine quitté le nid et de petites pensionnaires aux yeux vifs. Ils étaient diversement occupés : les uns, en cercle, jouaient aux cartes ; d’autres conversaient autour du foyer ; à l’une des extrémités de la salle un groupe de jeunes gens, quelques-uns à peu près formés, d’autres d’un âgé plus tendre, plus boutonnant, était entièrement absorbé par un jeu plein d’intérêt, et la profusion de chevaux de bois, de trompettes à un penny et de poupées en lambeaux qui jonchaient le plancher témoignaient du passage d’une bande de petits êtres féeriques qui, après avoir fo-

  1. Le gui se suspend encore, à Noël, dans les fermes et les cuisines ; et les jeunes gens ont le privilège d’embrasser les jeunes filles amenées au-dessous, à charge par eux de détacher chaque fois une baie du buisson. Quand toutes les baies sont cueillies, le privilége expire.