Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/297

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passent joyeusement leur temps, dédaigneux de notre luxe, auquel ils préfèrent leur manière de vivre, dont quelques hommes font si peu de cas. » Tels furent les Indiens tant qu’ils conservèrent l’orgueil et l’énergie de leur nature primitive ; semblables à ces plantes sauvages qui croissent à merveille dans les ombres de la forêt, mais qui se flétrissent aux mains de celui qui les cultive, et meurent sous les rayons du soleil.

En traitant du caractère des sauvages, les écrivains, au lieu d’y apporter l’impartialité de la véritable philosophie, ont été trop enclins à se laisser aller aux préjugés vulgaires et à l’exagération passionnée. Ils n’ont pas suffisamment considéré les circonstances particulières dans lesquelles les Indiens ont été placés, et les principes particuliers à l’ombre desquels chemine leur éducation. Nul être n’agit plus rigoureusement d’après la règle établie que l’Indien ; toute sa conduite est basée sur quelques maximes générales de bonne heure implantées dans son esprit. Les lois morales qui le gouvernent ne sont certainement qu’en bien petit nombre, mais du moins il se conforme à toutes ; — l’homme blanc a une foule de lois religieuses, de mœurs, de coutumes ; mais combien en viole-t-il !

Un chef fréquent d’accusation contre les Indiens est leur mépris des traités, et la perfidie, la légèreté avec lesquelles, en temps de paix apparente, ils reprennent tout à coup les hostilités. Mais, dans leurs rapports avec les Indiens, les blancs ne sont-ils pas, eux, trop enclins à se montrer froids, méfiants, oppressifs et insultants ? On les traite rarement avec cette confiance et cette franchise sans lesquelles il n’y a pas d’amitié véritable possible ; on ne prend point non plus assez de précautions pour éviter de porter atteinte à ces sentiments d’orgueil ou de superstition qui souvent poussent l’Indien aux hostilités plus énergiquement que de pures considérations d’intérêt. Solitaire, le sauvage sent silencieusement, mais avec force. Sa sensibilité ne se répand pas sur une aussi vaste surface que celle de l’homme blanc, mais elle court dans de plus solides et de plus profonds canaux. Son orgueil, ses affections, ses superstitions, se portent sur un moindre nombre d’objets ; mais les blessures qu’on leur fait sont par cela même plus cruelles, et fournissent des motifs d’hostilité que nous ne pouvons suffisamment appré-