Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/318

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d’effroi, laissant derrière eux leur chef, sans s’arrêter pour l’informer du péril. Canonchet envoya un autre éclaireur, qui fit la même chose. Puis il en envoya deux encore, dont l’un, revenant précipitamment sur ses pas, bouleversé par l’épouvante, vint lui dire que l’armée anglaise était derrière lui. Canonchet vit qu’il n’y avait d’autre parti à prendre que celui d’une fuite immédiate. Il tenta de s’échapper en tournant la colline, mais il fut aperçu et chaudement poursuivi par les Indiens alliés des Anglais et quelques-uns des plus agiles parmi ces derniers. Voyant sur ses talons le plus léger à la course de ceux qui le poursuivaient, il jeta loin de lui, d’abord son vêtement de dessus, puis son justaucorps à galons d’argent et son ceinturon, marques auxquelles ses ennemis le reconnaissaient pour être Canonchet ; c’était redoubler l’ardeur de la poursuite.

À la fin, en s’élançant dans la rivière, son pied glissa sur un caillou, et il fit une chute si profonde qu’il mouilla son fusil. Cet accident le jeta dans un tel désespoir, que, comme il l’avoua plus tard « son cœur et ses entrailles faillirent au dedans de lui », et que, « dénué de force, il demeura semblable à une branche pourrie. »

Il était à tel point énervé que, saisi par un Indien pequod à une faible distance de la rivière, il n’opposa aucune résistance, bien que ce fût un homme d’une grande vigueur de corps et d’une grande hardiesse de cœur. Mais dès qu’il eut été fait prisonnier, toute la fierté de son caractère reparut ; et à partir de ce moment nous ne trouvons autre chose, dans les détails rapportés par ses ennemis, que de fréquentes lueurs d’héroïsme sublime et digne d’un prince. Interrogé par un des Anglais qui l’entreprit d’abord, et qui n’avait pas atteint sa vingt-deuxième année, le guerrier au cœur superbe, jetant sur sa jeune mine des yeux où se peignait un serein mépris, répliqua : « Vous êtes un enfant — vous ne pouvez comprendre les matières de guerre — que votre frère ou votre chef vienne — et je lui répondrai. »

On lui avait à plusieurs reprises fait offre de la vie, à condition qu’il se soumettrait aux Anglais, lui et son peuple, mais il la rejeta dédaigneusement, et refusa même d’envoyer aucune proposition de cette nature au grand corps de ses sujets, disant qu’il savait bien qu’aucun d’eux n’y voudrait souscrire. Comme