Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/329

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On a maintes fois conseillé à John de faire examiner à fond ce vieux bâtiment, jeter bas quelques parties inutiles, et consolider le reste avec les matériaux ; mais le vieux gentleman se fâche tout rouge quand on aborde ce sujet. Il soutient que la maison est une excellente maison, — qu’elle est solide et à l’épreuve du mauvais temps, et que ce ne sont pas les orages qui l’ébranleront — qu’elle est restée debout pendant plusieurs centaines d’années, et que par conséquent il n’est pas probable qu’elle s’écroulera maintenant ; — que quant à ce qui est d’être incommode, sa famille est accoutumée à ces incommodités, et ne serait pas à son aise sans cela ; — que quant à l’énormité de sa masse et aux irrégularités de sa construction, cela résulte de ce qu’elle a mis des siècles à s’élever, et de ce qu’elle a été améliorée par la sagesse de chaque génération ; — qu’une vieille famille comme la sienne a besoin d’une vaste maison pour se loger. Des familles d’hier, des parvenus peuvent demeurer dans des villas modernes, dans des cases bien commodes ; mais une vieille famille anglaise doit habiter un vieux manoir anglais. Si vous lui signalez quelque partie du bâtiment comme superflue, il soutient qu’elle est essentielle pour la solidité ou l’ornement du reste et l’harmonie de l’ensemble, et prétend que les parties en sont de telle sorte enchâssées les unes dans les autres, que si l’on en jette une à bas on court risque d’avoir le tout sur les oreilles.

Le mot de l’énigme, c’est que John a une grande disposition à protéger et à patroniser. Il croit indispensable à la dignité d’une ancienne et honorable famille de donner de gros gages et de se laisser dévorer par ses domestiques ; c’est ainsi que, tant par vanité que par bonté d’âme, il se fait une loi de toujours abriter et entretenir ses vieux serviteurs.

La conséquence en est que, comme bien d’autres vénérables résidences de famille, son manoir est embarrassé par de vieux valets qu’il ne peut renvoyer et un vieux style qu’il ne peut répudier. Son logis ressemble à un grand hôpital d’invalides, et n’est pas avec toute son étendue le moins du monde trop vaste pour ses habitants. Pas un recoin, pas une encoignure qui ne soit utile à loger quelque inutile personnage. On voit des groupes de vieux mangeurs de bœuf, pensionnaires goutteux, héros retraités de la beurrerie et des offices, s’appuyer nonchalamment contre