Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/330

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ses murs, se traîner le long de ses pelouses, sommeiller sous ses arbres, ou se chauffer au soleil sur les bancs devant ses portes. Les communs regorgent de ces surnuméraires et de leurs familles ; car ils sont merveilleusement prolifiques, et, quand ils viennent à mourir, ne manquent pas de laisser à John un legs de bouches affamées à remplir. On ne peut diriger une pioche contre la tour la plus ruinée, la plus vermoulue, que ne surgisse tout à coup dé quelque crevasse ou de quelque meurtrière la tête grise de quelque parasite suranné qui a vécu toute sa vie aux dépens de John, et qui pousse un long cri de détresse : on renverse le toit qui abritait la tête d’un vieux serviteur de la famille. Ceci est un appel auquel l’honnête cœur de John n’a jamais pu résister ; de sorte qu’un homme qui a fidèlement mangé son bœuf et son pudding toute sa vie est sûr d’avoir pour récompense la pipe et le grand pot de bière dans ses vieux jours.

De même, une grande partie de son parc est transformée en enclos ; c’est là que ses coursiers hors de service sont rendus à la liberté pour y paître tranquillement pendant le reste de leur existence, — noble exemple de souvenir reconnaissant que pourraient, sans déshonneur aucun, imiter ses voisins. C’est une de ses grandes jouissances que de les montrer du doigt à ceux qui le visitent, de s’appesantir sur leurs bonnes qualités, de porter aux nues leurs services passés, et de se vanter d’une façon quelque peu emphatique des périlleuses aventures et des hardis exploits au travers desquels ils l’ont porté.

Parfois il lui arrive de pousser la vénération pour les usages de famille et les charges de famille à un point excentrique. Son manoir est infesté par des bandes de bohémiens ; mais il ne souffrira pas qu’on les expulse, parce qu’ils ont depuis un temps immémorial infesté cette demeure, commis un braconnage organisé sur toutes les générations de la famille. À peine laissera-t—il élaguer une branche sèche sur les grands arbres qui entourent la maison, de peur que cela ne dérange les grolles qui y ont couvé pendant des siècles. Des hiboux ont pris possession du colombier, mais ce sont des hiboux héréditaires, il ne faut pas les troubler. Les hirondelles ont presque bouché toutes les cheminées avec leurs nids ; les martinets bâtissent dans toutes les frises et les corniches ; les corneilles voltigent autour des tourelles, et