Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/341

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village natal et l’humble toit de ses parents. Quand enfin la nature de sa proposition vint frapper son esprit candide, l’effet en fut flétrissant. Elle ne pleura pas, — elle ne se répandit pas en reproches, — elle ne dit pas un mot, — mais elle recula terrifiée comme à la vue d’une vipère, lui lança un regard d’angoisse qui pénétra jusqu’au fond de son âme, et, joignant les mains dans sa détresse, s’enfuit, comme pour y chercher un asile, vers la cabane de son père.

L’officier se retira confondu, humilié et repentant. On ne peut savoir ce qui serait résulté du conflit de ses sentiments si ses pensées n’avaient pas été distraites par l’agitation du départ. De nouvelles scènes, de nouveaux plaisirs et de nouveaux compagnons, firent taire bientôt les reproches qu’il s’adressait à lui-même, et étouffèrent sa tendresse ; cependant, au milieu du tumulte des camps, des orgies de garnison, des manœuvres militaires, et même du bruit étourdissant des batailles, ses pensées remontaient quelquefois doucement vers les scènes de repos champêtre et de simplicité villageoise — la blanche chaumière — le sentier longeant le ruisseau limpide, et bordé par une haie d’aubépine, et la petite paysanne qui s’y attardait, appuyée sur son bras, et l’écoutant l’œil radieux d’une affection qui s’ignore.

Le coup porté à la pauvre fille par la destruction de tout son monde idéal avait été bien cruel. Des défaillances et des passions hystériques avaient d’abord ébranlé sa constitution délicate : elles furent suivies d’une morne et langoureuse mélancolie. Elle avait contemplé de sa fenêtre le départ des troupes. Elle avait vu son déloyal amant emporté, comme en triomphe, au milieu du bruit des tambours et des trompettes, et de la pompe des armes. Elle le suivit pour la dernière fois d’un regard douloureux ; le soleil du matin faisait resplendir son visage, et son panache flottait dans la brise ; il passa, disparut à ses yeux comme une brillante vision, et la laissa dans une obscurité profonde.

Il serait oiseux de s’appesantir sur les particularités de son histoire subséquente : elle ressemble aux autres histoires d’amoureuse mélancolie. Elle évitait la société, et allait s’égarer seule dans les sentiers qu’elle avait le plus fréquentés avec son amant. Elle voulait, comme le daim blessé, pleurer en silence dans la solitude et couver la douleur acérée qui s’envenimait