Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/342

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dans son âme. Parfois on la voyait, à une heure avancée du soir, assise sous le porche de l’église du village, et les laitières, revenant des champs, la surprenaient de temps à autre à fredonner quelque plaintive chanson dans le sentier bordé d’aubépine. Elle devint fervente dans ses dévotions à l’église ; et quand les vieillards la voyaient approcher, si tôt dévastée, et cependant avec cette fraîcheur qui consume et cette touchante auréole que la mélancolie répand autour de la beauté, ils lui faisaient place, comme à quelque chose d’immatériel, et, la suivant du regard, secouaient la tête, remplis d’un funeste pressentiment.

Elle sentait qu’elle marchait à grands pas vers la tombe, mais elle y aspirait comme à un lieu de repos. Le fil d’argent qui l’attachait à la vie s’était dénoué, et il lui semblait qu’il n’y eût plus de joie sous le soleil. Si jamais son tendre cœur avait nourri quelque ressentiment contre son amant, il était tout à fait éteint. Elle était incapable de passions haineuses, et dans un moment de tendresse attristée elle traça pour lui une lettre d’adieu. Elle était écrite dans le langage le plus simple, mais émouvante de sa simplicité même. Elle lui disait qu’elle était mourante, et ne lui celait pas que sa conduite en était la cause. Elle lui dépeignait même les souffrances qu’elle avait éprouvées, mais terminait en disant qu’elle n’eût pu mourir en paix si elle ne lui eût pas envoyé son pardon et sa bénédiction.

Par degrés ses forces déclinèrent, au point qu’il lui devint impossible de quitter la chambre. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de gagner en chancelant la fenêtre, où, renversée sur sa chaise, c’était son bonheur de rester tout le jour et de contempler le paysage qui s’étendait devant elle. Cependant elle ne proférait aucune plainte, et ne révélait à personne le mal qui lui rongeait le cœur. Elle, ne prononçait même jamais le nom de son amant, mais posait sa tête sur le sein de sa mère et pleurait en silence. Ses pauvres parents se penchaient dans une anxiété muette sur cette fleur de leurs espérances qui se flétrissait sous leurs yeux, se berçant encore de l’espoir qu’elle pourrait renaître à la fraîcheur, et que l’éclatant et céleste incarnat qui parfois colorait ses joues pouvait bien être une promesse du retour de la santé.

Ainsi elle était assise au milieu d’eux, une après-midi de di-