Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/353

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de quelle façon il avait pris une énorme truite qui l’avait contraint de déployer tout son savoir et toute sa circonspection, et qu’il avait envoyée comme trophée à son hôtesse de l’auberge.

Qu’il fait bon voir une vieillesse rieuse et satisfaite, et découvrir un pauvre diable comme celui-ci, après qu’il a été battu de la tempête au milieu de la vie, solidement amarré, le soir venu, dans un port bien clos et bien tranquille ! Son bonheur, à vrai dire, avait sa source en lui-même et était indépendant des circonstances extérieures, car il avait cette inépuisable couche basique qui est le plus précieux don du ciel, qui se répand comme de l’huile sur la mer orageuse de la pensée, et maintient l’esprit dans un calme inaltérable par le temps le plus difficile.

En prenant de plus amples informations sur son compte, j’appris qu’il était l’universel favori dans le village, et l’oracle de la salle du cabaret, où il charmait les rustauds avec ses chansons, et, comme Sinbad, les confondait d’étonnement avec ses histoires de pays étranges, de naufrages et de combats maritimes. Il était aussi très-apprécié par les gentlemen à loisirs du voisinage ; avait enseigné à plusieurs d’entre eux l’art de la pêche à la ligne, et était un visiteur privilégié de leurs cuisines. Sa vie était d’un bout à l’autre tranquille et inoffensive, s’écoulant principalement au bord des ruisseaux voisins quand le temps et la saison étaient propices ; dans l’intervalle, il s’occupait chez lui à préparer ses engins de pêche pour la campagne prochaine, ou à manufacturer des lignes, des filets et des mouches pour ses protecteurs et disciples parmi les bourgeois.

Il allait régulièrement à l’église les dimanches, bien que généralement il s’endormît pendant le sermon. Il avait avec instance demandé que quand il mourrait il fût enterré dans un endroit tapissé de verdure, qu’il pouvait voir de son banc dans l’église, et qu’il avait toujours couvé des yeux depuis qu’il était grand, auquel il avait rêvé quand, loin de son village natal, il voguait sur une mer courroucée, exposé à servir de pâture aux poissons : — c’était l’endroit où son père et sa mère avaient été enterrés.

J’ai fini, car je crains que mon lecteur ne se fatigue, mais je n’ai pu m’empêcher de tracer le portrait de ce digne « confrère de la