Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/360

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par une silencieuse matinée de dimanche, que l’on dit descendre en ligne directe du nez d’Ichabod Crane. C’est ainsi que par diverses petites industries, de cette ingénieuse façon que l’on définit communément « s’aider des pieds et des mains », le digne pédagogue menait une existence assez tolérable, et était réputé, par tous ceux qui ne comprenaient rien aux fatigues du travail de tête, avoir la vie la plus facile du monde.

Le maître d’école est généralement un homme de quelque importance dans le cercle féminin d’un voisinage rustique ; étant considéré comme une espèce d’oisif personnage quasi-gentleman, infiniment supérieur par son goût et ses talents aux jeunes gens grossiers de la campagne, et, qui plus est, inférieur en savoir seulement au ministre. Son apparition est donc sujette à occasionner certaine petite agitation à la table de thé d’une métairie, et l’addition d’un plat d’extra, de gâteaux ou de sucreries, ou d’aventure le luxe d’une théière d’argent. Or, notre homme de lettres se complaisait particulièrement dans les sourires des jeunes filles du pays. Comme il figurait au milieu d’elles dans le cimetière entre les offices, les dimanches, cueillant pour elles du raisin sur les ceps de vigne sauvage qui tapissaient les arbres d’alentour ; récitant pour leur amusement toutes les épitaphes placées sur les tombes, ou s’ébattant avec tout un essaim d’icelles sur les bords de l’étang du moulin adjacent, tandis que les lourdauds de l’endroit, plus timides, restaient niaisement en arrière, envieux de son élégance et de son adresse supérieures !

Par suite de son existence semi-ambulante aussi, c’était une espèce de gazette voyageuse, portant de maison en maison tout le répertoire des caquets de la localité, de sorte que ses visites étaient toujours accueillies avec plaisir. Il était en outre estimé par les femmes un homme de grande érudition, car il avait lu plusieurs livres d’un bout à l’autre, et possédait à fond l’Histoire de la magie dans la Nouvelle-Angleterre, par Cotton Mather, à laquelle, soit dit en passant, il croyait très-fermement et de toutes ses forces.

C’était dans le fait un singulier mélange de finesse étroite et de crédulité naïve. Son amour pour le merveilleux et son aisance à le digérer étaient également extraordinaires ; et l’un et l’autre s’étaient accrus par suite de sa résidence dans cette région en-