Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saison d’automne. Une étourdissante accumulation d’immenses plats remplis de gâteaux d’espèces diverses et presque impossibles à décrire, connues seulement des ménagères hollandaises expérimentées. On y voyait le pesant gâteau de noisettes, le oly koek, plus délicat, et le cruller, qui casse et qui s’émiette ; gâteaux sucrés et non sucrés, gâteaux au gingembre et gâteaux au miel, et toute la famille des gâteaux. Et puis c’étaient des tourtes aux pommes, et des tourtes aux pêches, et des tourtes aux citrouilles, sans parler de tranches de jambon et de bœuf fumé ; et puis encore de délicieux plats de prunes, de pêches, de poires et de coings en conserves ; pour ne rien dire des aloses grillées et des poulets rôtis, ainsi que des jattes de lait et de crème, le tout confondu pêle-mêle, à peu près comme je les ai énumérés, la théière maternelle placée au centre et de là faisant monter ses nuages de vapeur. — Le ciel me vienne en aide ! je manque d’haleine et de temps pour étudier ce banquet comme il le mérite, et suis bien trop pressé de continuer mon histoire. Heureusement Ichabod Crane n’était pas dans un aussi grand embarras que son historien, et il rendit amplement justice à toutes ces friandises.

C’était une bonne et reconnaissante créature, dont le cœur se dilatait à mesure que sa peau se gonflait sous la bonne chère, et dont la nourriture éveillait les esprits comme fait la boisson pour certains hommes. Il ne pouvait d’ailleurs s’empêcher de rouler en mangeant ses gros yeux autour de lui, et de se bercer de la possibilité qu’il pourrait un jour être possesseur de toute cette scène de richesse et de splendeur presque inimaginables. Alors, pensait-il, comme il aurait bientôt fait de montrer les épaules à la vieille école, de faire claquer ses doigts sous le nez de Hans Van Ripper et de tout autre avare Mécène, et de chasser à grands coups de pied de chez lui tout pédagogue ambulant qui aurait l’audace de le traiter de camarade.

Le vieux Baltus Van Tassel circulait au milieu de ses hôtes, le visage dilaté par le contentement et la bonne humeur, rond et souriant comme la pleine lune. Ses attentions hospitalières étaient courtes, mais expressives, se bornant à une poignée de main, une tape sur l’épaule, un bruyant éclat de rire, et l’invitation pressante : « Tombez sur les plats, et qu’on se serve. »