Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/377

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de temps pour permettre à tous les conteurs d’histoires d’orner leur récit d’une gentille petite fiction, et, dans la confusion de leurs souvenirs, de se faire les héros de tous les exploits.

C’était l’histoire de Doffue Martling, un Hollandais colossal à barbe bleue, qui aurait pris une frégate anglaise avec un vieux canon de neuf en fer, d’un parapet en terre, si son canon n’avait pas éclaté à la sixième décharge ; et puis un vieux gentleman que je ne nommerai pas, vu que c’est un Meinherr beaucoup trop riche pour qu’on en parle légèrement, qui, à la bataille de Whiteplains, c’était un excellent maître d'armes, avait paré une balle de mousquet avec une petite épée, de telle sorte qu’il l’avait positivement entendue siffler autour de la lame et sortir par la poignée : en preuve de quoi il était à toute heure prêt à montrer l’épée, dont la poignée était un peu tordue. Il y en avait encore plusieurs qui s’étaient également distingués sur le champ de bataille, dont il n’était pas un seul qui ne fût persuadé qu’il avait considérablement contribué à mener la guerre à bonne fin.

Mais tout cela n’était rien en comparaison des histoires de revenants et d’apparitions qui suivirent. Le voisinage est riche en trésors légendaires de cette nature. Les contes et superstitions locaux s’épanouissent au mieux dans ces retraites bien closes où régna toujours le silence, mais sont foulés aux pieds par l’élément changeant qui forme la population de la plupart de nos campagnes. Et puis, il n’y a pas d’encouragement pour les fantômes dans la plupart de nos villages, car ils ont à peine eu le temps de dormir leur premier somme et de se retourner dans leurs cercueils, que déjà les amis qui leur ont survécu se sont éloignés du voisinage ; de sorte que quand ils s’échappent la nuit pour faire leur ronde, ils ne trouvent personne de connaissance à qui s’adresser. Voilà peut-être ce qui fait que nous n’entendons guère parler de fantômes que dans nos vieilles communautés hollandaises.

La cause immédiate, cependant, de la prédominance des histoires surnaturelles dans ces parages tenait sans doute à la proximité du Vallon endormi. L’air même qui soufflait dé cette région enchantée vous était fatal ; il respirait une atmosphère de songes et d’imaginations qui infectait toute la contrée. Plusieurs des habitants du Vallon endormi se trouvaient à la réunion chez Van