Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/40

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Apalaches ; on les voit qui filent à l’Ouest du fleuve pour s’élever à une hauteur imposante et dominer le pays d’alentour. À tout changement de saison, à tout changement de temps, que dis-je ? à toute heure du jour, il s’opère un changement dans les teintes et les formes magiques revêtues par ces montagnes, que, de tous côtés, les bonnes femmes regardent comme d’excellents baromètres. Quand le temps est beau et bien assis, elles sont enveloppées de bleu et de pourpre, et leurs contours se détachent vigoureusement sur le ciel pur du soir ; mais quelquefois, lorsque le reste du paysage est sans nuages, il se rassemble autour de leurs sommets une masse de vapeurs grises, qui, colorée aux derniers rayons du soleil couchant, les couronne comme un diadème resplendissant.

Au pied de ces féeriques montagnes le voyageur peut avoir découvert de loin la légère fumée qui s’élève, en ondulant, d’un village dont les toits de planches étincellent entre les arbres, précisément à l’endroit où les teintes bleues de la montagne se mêlent, en se fondant, aux belles teintes vertes du paysage qui se trouve au-dessous. C’est un petit village, mais un village fort ancien, puisqu’il a été fondé par quelques colons hollandais, dans les premiers temps de la province, précisément à l’époque de l’entrée aux affaires du bon Pierre Stuyvesant (que ses cendres reposent en paix !); et quelques-unes des maisons des colons primitifs étaient encore débout il y a peu d’années, construites en petites briques jaunes apportées de Hollande, avec des jalousies et des pignons sur le devant, surmontés de girouettes.

Dans ce village même, et dans une de ces maisons mêmes (disons toute la vérité, c’était une déplorable victime du temps, elle était battue par tout les vents), vivait, il y a bien des années, à l’époque où le pays était encore une province de la Grande-Bretagne, un simple et brave garçon nommé Rip Van Winkle. C’était un descendant des Van Winkle qui firent si noble figure aux jours glorieux de Pierre Stuyvesant et l’accompagnèrent au siége de Fort-Christine. Pourtant il n’avait que médiocrement hérité du caractère martial de ses ancêtres. J’ai fait observer que c’était un simple et brave garçon ; c’était en outre un bon voisin, un mari docile, se laissant gouverner par sa femme. Et je croirais assez que c’est à cette dernière circonstance qu’il dut cette