Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/45

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et aux clameurs de sa femme, était de prendre en main un fusil et de s’enfoncer dans les bois. Là, il s’asseyait parfois au pied d’un arbre, et partageait le contenu de son bissac avec Wolf. Entre eux régnait la sympathie : c’était un compagnon de souffrance et de persécution. « Pauvre Wolf, » disait-il, « ta maîtresse te fait mener une vie de chien ; mais ne fais pas attention, mon garçon : tant que je vivrai tu n’auras pas besoin d’un ami pour te soutenir ; » et Wolf remuait légèrement la queue, regardait fixement son maître en face, et si les chiens sont susceptibles de pitié, je crois fermement qu’il le plaignait aussi du plus profond de son cœur.

Un beau jour d’automne, pendant une longue excursion de cette espèce, Rip avait, sans y songer, escaladé l’une des parties les plus élevées des monts Kaatskill. Il était en train de se livrer à son divertissement favori, la chasse à l’écureuil, et les solitudes endormies avaient retenti et retenti encore des détonations de son fusil. L’après-midi était très-avancée ; haletant, épuisé, il se jeta sur un monticule vert que recouvraient des pâturages de montagne et qui couronnait le front d’un précipice. Par une ouverture entre les arbres il pouvait embrasser tout le pays qui s’étendait à ses pieds, bien des milles de terres magnifiquement boisées. Il voyait dans le lointain l’Hudson majestueux, dessous, mais bien au-dessous de lui, poursuivant sa course silencieuse mais imposante, que venait seulement accidenter la réflexion d’un nuage couleur de pourpre ou la voile d’une barque aux mouvements pleins de lenteur qui dormait çà et là sur son sein poli et se perdait enfin dans le bleu des hautes terres.

Il regarda de l’autre côté, et ses yeux plongèrent dans une vallée profonde, sauvage, solitaire, effrayante, dont le fond était rempli de blocs énormes détachés des rochers qui surplombaient, et qu’éclairaient à peine les rayons réfléchis du soleil couchant. Pendant quelque temps Rip contempla cette scène d’un air rêveur : le soir s’avançait toujours, les montagnes commençaient à projeter sur les vallées leurs longues ombres bleues ; il vit que la nuit tomberait bien avant qu’il pût atteindre le village, et il poussa un profond soupir en songeant à l’accueil gracieux que lui réservait dame Van Winkle.

Comme il était sur le point de descendre, il entendit à une