Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/44

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nonchalamment des caquets du village, ou disant, d’interminables et soporifiques histoires à propos de rien. Mais un homme d’État n’aurait pas perdu son argent s’il avait entendu les profondes discussions qui survenaient parfois, quand par hasard un vieux journal laissé par un voyageur de passage leur tombait entre les mains. Avec quelle solennité ils en écoutaient le contenu, que laissait tomber d’une voix traînante Derrick Van Bummel, le maître d’école, pétulant et érudit petit homme que le mot le plus formidable du dictionnaire n’était pas capable d’intimider ! Avec quelle sagesse ils délibéraient sur les événements publics quelques mois seulement après qu’ils s’étaient passés !

Les opinions de cette assemblée étaient entièrement dirigées par Nicolas Vedder, un patriarche du village, et le propriétaire de l’auberge, à la porte de laquelle il faisait la sieste du matin jusqu’au soir, prenant tout juste assez de mouvement pour éviter le soleil et rester dans l’ombre d’un arbre aux larges branches, de sorte que les voisins pouvaient, d’après ses évolutions, dire l’heure avec autant de précision que d’après un cadran solaire. Il est vrai qu’on l’entendait rarement parler, mais il fumait incessamment sa pipe. Ses adhérents, cependant (car tout grand homme a ses adhérents), le comprenaient parfaitement et savaient comment recueillir son opinion. Quand une chose lue ou racontée devant lui lui déplaisait, on remarquait qu’il fumait sa pipe avec véhémence ; que les bouffées de tabac sortaient courtes, fréquentes, irritées. Était-il satisfait, il attirait la fumée doucement, tranquillement, et la chassait en nuages légers et gracieux ; quelquefois même, retirant la pipe de sa bouche et laissant la vapeur parfumée onduler autour de son nez, il inclinait gravement la tête en signe de complet assentiment.

Mais, hélas ! l’infortuné Rip fut à la fin délogé de cette redoutable position par sa querelleuse moitié, qui, faisant tout à coup irruption, rompait la tranquillité de l’assemblée et en traitait les membres de bons à rien. Cet auguste personnage, Nicolas Vedder lui-même, n’était pas à l’abri des atteintes de la langue entreprenante de cette terrible virago, qui l’accusait, tout net, d’encourager son mari dans ses habitudes de fainéantise.

Le pauvre Rip finit par se trouver presque réduit au désespoir ; et sa seule ressource, pour échapper aux labeurs de la plantation