Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/63

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préjudice réel. Le tissu de calomnies dont on a essayé de nous envelopper est comme une toile d’araignée dont on aurait entouré les membres d’un enfant géant. Notre pays le rompt incessamment. Les faussetés tombent d’elles-mêmes les unes après les autres. Nous n’avons qu’à continuer à vivre et chaque jour nous vivrons tout un volume de réfutations. Tous les écrivains de l’Angleterre coalisés, si l’on pouvait supposer un instant que leurs grands esprits descendissent à un complot si méprisable, ne pourraient pas celer l’extension rapide de notre importance, notre incomparable prospérité. Ils ne pourraient pas celer que cela tient, non-seulement à des causes physiques et locales, mais aussi à des causes morales : — à la liberté politique, à la diffusion universelle du savoir, à l’ascendant de bons principes moraux et religieux, toutes choses qui donnent de la force et une énergie soutenue au caractère d’un peuple, et qui, dans le fait, ont été les fondements aussi merveilleux qu’incontestés de leur propre puissance, de leur propre gloire nationale.

Mais pourquoi sommes-nous si douloureusement sensibles aux calomnies de l’Angleterre ? Pourquoi nous laissons-nous affecter ainsi par le mépris qu’elle a essayé de déverser sur nous ? Ce n’est pas dans l’opinion de l’Angleterre seule que vit l’honneur, que la réputation prend sa source. Le monde est grand ; c’est l’arbitre de la renommée d’une nation. De ses mille regards il contemple les actes d’une nation, et c’est d’après leur témoignage collectif que s’établit la gloire nationale ou l’ignominie nationale.

Aussi, pour nous, est-il, en somme, de peu d’importance que l’Angleterre nous rende justice ou non ; ce l’est peut-être de beaucoup plus pour elle même. Elle verse goutte à goutte la colère et le ressentiment dans le sein d’une jeune nation : ils croîtront de son accroissement et se fortifieront de sa force. S’il est vrai que dans l’Amérique elle doive, comme quelques-uns de ses écrivains s’efforcent de le lui persuader, trouver dans l’avenir une envieuse rivale, une formidable ennemie, elle peut rendre grâce à ces mêmes écrivains, car ils ont excité la rivalité, provoqué l’inimitié. Chacun sait quelle est de nos jours l’influence de la littérature, comme elle envahit tout, comme elle gouverne les opinions et les passions humaines. Les débats du sabre n’ont qu’un temps, les blessures qu’il fait n’attaquent que la chair,