Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/64

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et les hommes généreux mettent leur orgueil à les pardonner, à les oublier ; mais les calomnies tracées par la plume vont jusqu’au cœur ; elles s’enveniment d’autant plus que ce sont de plus nobles esprits qui en sont les victimes ; elles restent toujours présentes à l’imagination, et nous rendent d’une sensibilité morbide pour le plus léger froissement. Ce n’est que bien rarement qu’un acte ouvert produit les hostilités entre deux nations ; il existe le plus communément une jalousie, un mauvais vouloir qui datent de plus loin, une prédisposition à prendre offense. Remontez aux causes et vous trouverez que très-souvent ils ont leur source dans les productions malfaisantes d’écrivains mercenaires, qui, bien à l’abri dans leurs cabinets, et pour un pain ignominieux, mûrissent et font circuler le poison qui doit embraser les généreux et les braves.

Je n’attache pas à ce point plus d’importance qu’il ne faut, car il s’applique rigoureusement à notre cas particulier. Il n’est pas de nation que la presse gouverne d’une façon plus despotique que le peuple américain, car l’instruction est si répandue parmi les classes les plus pauvres que de chaque individu elle fait un lecteur. Rien n’est publié en Angleterre au sujet de notre pays qui n’y circule dans tous les sens. Il n’est pas une calomnie tombée d’une plume anglaise, pas un indigne sarcasme échappé à un politique anglais, qui n’aille glacer la sympathie, ajouter à la masse de ressentiment latent. Mais, ayant en son pouvoir, il en est ainsi de l’Angleterre, la source d’où découle la littérature de la langue, combien il lui est facile et comme c’est vraiment son devoir d’en faire un canal de sentiments courtois et magnanimes — un ruisseau où les deux nations pourraient se rencontrer et boire en paix, animées d’une mutuelle bienveillance ! Si, cependant, elle persistait à en faire jaillir des ondes d’amertume, le temps peut venir où elle pourra déplorer son imprudence. L’amitié de l’Amérique peut n’être aujourd’hui que de très-peu d’importance pour elle ; mais les destinées futures de ce pays n’admettent pas le doute ; il plane sur celles de l’Angleterre quelques ombres d’incertitude. Survienne alors pour elle le jour du malheur, qu’elle soit atteinte par une de ces catastrophes dont les empires les plus glorieux ne furent pas exempts, et elle pourra jeter sur le passé un regard plein de regrets, se repentir