Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/70

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un goût prononcé pour les plaisirs et les occupations de la campagne. Cette passion semble leur être inhérente. Il n’est pas jusqu’aux habitants des grandes villes, qui sont nés et ont grandi au milieu des murs de brique et des rues pleines de bruit, qui ne prennent aisément les habitudes champêtres, qui ne montrent une aptitude singulière pour les occupations de la campagne. Le marchand a sa commode retraite dans le voisinage de la capitale ; souvent il y déploie autant de zèle et d’orgueil à cultiver son parterre, à faire mûrir ses fruits, que dans la conduite de ses affaires, après avoir réussi dans une entreprise commerciale. Il n’est pas jusqu’à ces individus moins fortunés qui sont condamnés à passer leur vie au milieu du bruit et du trafic qui ne s’ingénient à avoir quelque chose qui leur rappelle l’aspect de la verdoyante nature. Dans les plus sombres, les plus bruyants quartiers de la ville la croisée du salon ressemble souvent à une planche de fleurs ; chaque pouce de terrain où la végétation est possible a sa pelouse et sa plate-bande, tout square son parc en miniature, disposé pittoresquement et avec goût, à la verdure pleine de fraîcheur et d’éclat.

Ceux qui ne voient l’Anglais qu’en ville sont portés à concevoir une opinion défavorable de son caractère social. Il est ou absorbé par les affaires ou tiré de tous côtés par ces mille engagements qui dissipent le temps, le sentiment et la pensée dans cette grande capitale. Voilà pourquoi si souvent il a l’air pressé, distrait. En quelque lieu qu’il se trouve être, il est sur le point d’aller ailleurs ; au moment où il parle sur un sujet son esprit court à un autre ; et pendant qu’il rend une visite d’amitié il calcule comment il fera pour employer si bien son temps qu’il puisse rendre les autres visites placées dans la même matinée. Une immense capitale telle que Londres rend nécessairement les hommes égoïstes et monotones. Dans leurs entrevues, aussi courtes qu’accidentelles, ils ne peuvent qu’échanger à la hâte des lieux communs. Ils ne laissent voir que la froide enveloppe de leur caractère, — les riches qualités qui forment le fond de leur nature n’ont pas le temps de s’échauffer et de briller.

C’est à la campagne que l’Anglais donne l’essor à ses sentiments naturels. Il rompt avec bonheur en visière aux cérémonies glacées, aux politesses négatives de la ville, dépouille ses habi-