Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/72

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habitations. La demeure la plus grossière, la portion de terrain la plus maigre et la plus décourageante, entre les mains d’un Anglais homme de goût, devient un petit paradis. Il l’embrasse d’un regard merveilleusement sagace, et déjà ce qu’il en pourra tirer il l’a vu : le paysage à créer s’est peint dans son esprit. Sous sa main le lieu stérile devient charmant, et pourtant c’est à peine si les efforts de l’art qui produit ce changement se laissent apercevoir. Quelques arbres conservés, quelques autres rapportés, ceux-ci prudemment émondés ; des fleurs et des arbustes au tendre et gracieux feuillage habilement distribués, une nappe de gazon bien vert et bien épais allant en pente, un petit jour pratiqué pour laisser apercevoir un coin de ciel bleu, les reflets argentés de l’eau : — tout cela est ménagé avec un goût délicat, un soin continu, bien que paisible, qui ressemblent aux coups de pinceau magiques du peintre quand il donne la dernière main à un tableau favori.

Le séjour à la campagne des gens riches, de la société élégante, a répandu dans l’économie rurale une somme de goût et de distinction qui est descendue dans les plus basses classes. Le travailleur même, avec sa cabane de chaume et ses quelques pouces de terrain, s’applique à les embellir. La haie coquette, la pelouse devant la porte, la petite plate-bande bordée de buis bien serré, le chèvrefeuille dressé contre le mur et qui laisse pendre ses fleurs sur le treillis, le pot de fleurs sur la fenêtre, le houx prudemment planté tout autour de la maison, afin de dépouiller l’hiver de son horreur, d’avoir quelque chose qui rappelle la verdure de l’été, qui égaye le coin du feu : tout proclame l’influence du goût, découlant de sources élevées et pénétrant les couches les plus infimes de l’esprit public. Si jamais l’Amour, comme le disent les poëtes dans leurs chants, se plaît à visiter une chaumière, ce doit être la chaumière d’un paysan anglais.

Cette passion pour la vie champêtre qui règne parmi les hautes classes de la nation anglaise a produit un grand et salutaire effet sur le caractère national. Je ne sais pas une plus belle race d’hommes que les gentilshommes anglais. Au lieu de cette douceur efféminée qui caractérise les hommes de marque dans beaucoup de pays, ils trahissent un mélange de force et d’élégance, une vigueur de charpente, une fraîcheur de teint, que j’attribue-