Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/93

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table, et la douleur l’écrasa tellement qu’il fut sur le point de rendre l’âme entre les bras des serviteurs qui l’entouraient. Transporté dans sa chambre à coucher, il s’abstint de toute nourriture, et mourut trois jours après de tristesse et de faim, à Rothesay[1]. »

Jacques fut retenu dans les fers pendant plus de dix-huit ans ; mais, bien que privé de la liberté de ses mouvements, il fut traité avec le respect dû à son rang. Grand soin fut pris de l’instruire dans toutes les branches des connaissances utiles cultivées à cette époque, de lui donner ces grâces de l’esprit et ces charmes personnels réputés convenir à un prince. Peut-être même que, sous ce rapport, sa captivité fut un bienfait pour lui, en ce sens qu’elle lui permit de s’appliquer plus exclusivement à son perfectionnement, de s’incorporer à loisir un riche fond de connaissances, de se prendre d’amour pour ces goûts élégants qui ont donné tant de lustre à sa mémoire. Le portrait qu’ont tracé de lui dans sa jeunesse les historiens écossais vous captive, et ressemble plutôt à la description d’un héros de roman qu’à un caractère vrai donné par l’histoire. Il avait appris, dit-on, « à combattre avec l’épée, à jouter, à rompre des lances, à lutter, à chanter et à danser ; il se connaissait en médecine, était très-habile à jouer du luth, de la harpe, et de plusieurs autres instruments de musique, et versé dans la grammaire, l’éloquence et la poésie[2]. »

Avec une semblable combinaison de qualités mâles, de talents délicats, qui le rendaient propre à briller dans la vie active aussi bien que dans la vie élégante, et qui devaient lui donner un goût prononcé pour l’existence joyeuse, l’épreuve dut être bien rude, en ce siècle bruyant et chevaleresque, de passer le printemps de ses jours dans une monotone captivité. Ce fut cependant pour Jacques une bonne fortune d’être doué d’une puissante imagination poétique, et d’être visité dans sa prison par les plus charmantes inspirations de la muse. Il est des esprits qui se corrodent et se font inactifs quand ils perdent leur liberté, d’autres qui deviennent morbides et irritables ; mais il est dans la nature du poëte de s’attendrir et de se livrer à son imagination dans la so-

  1. Buchanan.
  2. Traduit d’Hector Boyce, par Ballenden.