Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/94

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litude des cachots. Il se nourrit du miel de ses propres pensées, et, comme l’oiseau captif, son âme se fond en mélodie.


Avez-vous vu dans une cage
Un pauvre rossignol captif ?
Regrette-t-il le frais bocage ?
Module-t-il un air plaintif ?
À sa chanson accoutumée
L’oreille se suspend charmée :
Pour lui sa cage est un bosquet,
Son juchoir un rameau coquet[1].


Oui, c’est l’attribut divin de l’imagination de ne pouvoir être comprimée, muselée. Quand on lui ferme le monde réel, elle sait s’en créer un autre. Puissante comme une magicienne, elle peut évoquer de charmants contours, des formes glorieuses, de brillantes visions, pour peupler sa solitude et inonder de lumière les ténèbres du donjon. Tel était le monde splendide et grandiose qui circulait autour du Tasse dans son affreuse cellule de Ferrare, lorsqu’il concevait les scènes magnifiques de sa Jérusalem ; et l’on peut considérer le Chant royal, composé par Jacques durant sa captivité à Windsor, comme un autre de ces beaux élans de l’âme qui se révolte contre les tortures et les ténèbres d’une prison.

Le sujet du poëme est son amour pour lady Jane Beaufort, fille du comte de Somerset et princesse du sang royal d’Angleterre, dont il s’éprit dans le cours de sa captivité. Ce qui lui donne une valeur particulière, c’est qu’il peut être regardé comme la narration fidèle des vrais sentiments de ce poëte-roi, comme l’histoire authentique de ses amours et de ses aventures. Il n’arrive pas souvent que les rois écrivent des poésies, ou que les poëtes agissent. L’amour-propre d’un homme ordinaire est chatouillé quand il voit un monarque solliciter, pour ainsi dire, l’admission dans son cabinet, et chercher à gagner ses bonnes grâces en s’efforçant de lui plaire. C’est une preuve de l’égalité absolue devant la rivalité intellectuelle : elle dépouille le candidat de tous les vains ornements de dignité factice ; elle le ramène au niveau de ses

  1. Roger l’Estrange.