Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/96

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esprit, et tombe peu à peu dans un accès de méditation profonde sur l’inconstance de la fortune, les vicissitudes de sa propre existence, et les maux qui sont venus l’assaillir dès sa plus tendre jeunesse. Tout à coup il entend la cloche qui sonne pour appeler à matines ; mais ce bruit, à l’unisson de ses mélancoliques rêveries, lui semble être comme une voix qui le presse d’écrire son histoire. Suivant l’esprit de la poésie errante, il résout d’obéir à cet ordre ; il prend donc en main la plume, fait avec elle le signe de la croix pour implorer une bénédiction, et s’élance dans la terre enchantée de la poésie. Il y a dans tout ceci quelque chose d’extrêmement romanesque, et de très-intéressant, en ce qu’on y trouve un magnifique et frappant exemple de la manière bien simple dont toute une famille de pensées poétiques est parfois éveillée, dont les entreprises littéraires sont parfois suggérées à l’esprit.

Dans le cours de son poëme il déplore plus d’une fois la rigueur peu commune de ses destins. Être ainsi condamné à une vie solitaire, inactive, loin de la liberté, des plaisirs du monde, dont le plus infime des êtres peut jouir sans contrainte ! Il y a cependant une certaine douceur dans ses lamentations mêmes ; ce sont les plaintes d’un esprit aimable, né pour la société, qui ne peut pas se laisser aller ses bons et généreux penchants ; elles n’ont rien d’amer ni d’exagéré ; elles coulent avec une verve de sentiment naturel qui émeut, et peut-être que leur simplicité leur brièveté les rendent plus touchantes encore. Elles contrastent d’une façon charmante avec ces doléances élaborées et redoublées que nous rencontrons parfois chez les poëtes - effusions d’esprits malades s’affaissant sous des misères de leur propre invention et déversant leur amertume sur un monde qui n’en peut mais. Jacques parle de ses privations avec une extrême sensibilité, mais quand il les a racontées il passe outre, comme si son cœur d’homme dédaignait de se soulever contre des maux inévitables. Quand un esprit de cette trempe se répand en plaintes, ne fût-ce qu’un instant, nous pouvons être sûrs qu’elle doit être bien grande la souffrance qui lui arrache ce murmure. Nous sympathisons avec Jacques, ce prince actif, romanesque, accompli, séparé violemment, dans la vigueur de la jeunesse, de toutes les entreprises, de tous les nobles buts, de tous les éner-