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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome I, 1917.djvu/10

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face, la petite rousse qui a de si jolis yeux bleus, vint fermer la porte qui ne s’ouvrait jamais.

Et voilà comme Mme Bodet, une fois en sa vie, fut éveillée par un rayon de soleil ; ce qu’elle ne croirait pas, du reste, si vous alliez le lui dire.

La vieille dame rouvrit l’œil droit, puis l’œil gauche. Elle resta un moment immobile, le temps de renouer connaissance avec les objets familiers, pour s’assurer qu’elle n’avait pas été transportée, pendant la nuit, dans une caverne de brigands. Puis elle tourna la tête et regarda sa petite montre d’argent posée sur la table de nuit.

— Sept heures trente-cinq !

En un clin d’œil, la maman de Totor se mit sur son séant, saisit la montre et l’appliqua à son oreille. La montre marchait. Et pourtant, c’était impossible ! La fidèle horloge de la cuisine ne pouvait être en défaut, et Mme Bodet ne pouvait pas ne pas avoir entendu, pour la première fois de sa vie, la puissante sonnerie qui résonnait jusqu’au grenier de la maison, tous les matins à six heures et demie.

Prestement, la vieille dame sauta du lit, courut entr’ouvrir la porte, et tendit l’oreille. Nul tic tac ne montait dans le silence de la cage d’escalier. Des visions de cambrioleurs, d’inondations, de murailles effondrées, traversèrent le cerveau de Mme Bodet. Car elle pouvait douter de la lumière, douter du soleil et du jour, mais elle ne pouvait douter de son horloge. Son âme en était si troublée qu’au lieu de s’agenouiller, selon sa coutume, sur la chaise basse qui lui servait de prie-Dieu, elle fit sa prière en s’habillant précipitamment. Elle se signa avec une de ses jarretières, le Pater fut bredouillé dans l’eau de savon du lavabo,