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et le « Je vous salue, Marie » s’étouffa dans les plis de sa serviette.

Vêtue en un tour de main, Mme  Bodet gagna l’escalier et dégringola jusqu’à la cuisine.

— Des cambrioleurs ! gémit-elle.

Sous la grande clarté du matin, le gaz flambait, ridicule. De noires empreintes de doigts tachaient les meubles, et des allumettes brisées jonchaient le sol. Et l’horloge, la fidèle horloge ? La vieille dame eut un sursaut d’horreur.

— Des bottines ! dit-elle… Les bottines de Totor… Ses bottines neuves de l’année dernière !

Affolée, sentant sa tête se perdre, elle éteignit le gaz, gagna l’escalier, grimpa deux étages, et pénétra en ouragan dans la chambre de son fils.

Une odeur aigre et surie emplissait la pièce aux fenêtres closes. Sur un lit dépouillé, Totor, à moitié dévêtu, ronflait, la bouche ouverte, la face pâle et boursouflée, reposant sa tête lourde sur un chapeau aplati. Et nul paquet ! Nul paquet enveloppé de papier gris ! Sur la table, les yeux fouilleurs de la vieille dame découvrirent, jetée là avec un incroyable dédain, une poignée de menue monnaie, deux ou trois francs tout au plus.

Alors, Mme  Bodet comprit. Un grand déchirement se fit dans son âme, et elle vit s’écrouler, en un effroyable cataclysme, les immuables traditions d’économie austère de la maison Bodet. Elle fourra dans sa poche la misérable poignée de billon, puis, rageuse, se précipitant sur Totor, et tambourinant de toute la force de ses maigres poings la grande carcasse inerte, elle clama d’une voix éperdue :

— Voleur ! Voleur ! Rendez-moi mes vingt francs, voleur !