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tant, annoncer la triste nouvelle à son amoureux, qui logeait à l’autre bout de la petite ville. De sorte que les cinquante bourgeoises, qui tricotaient de bons gras bas de laine en attendant leurs maris, la virent passer, si désolée qu’elle faisait peine à voir, et que toutes connurent, en moins de cinq minutes, l’histoire dans ses moindres détails.

Quand il fut sept heures, les bourgeois burent un dernier verre de schiedam, et rentrèrent chez eux à petits pas, afin d’arriver avec un quart d’heure de retard, selon leur coutume immémoriale. En marchant, ils répétaient d’un air fier :

— Certes non, nous ne permettrons pas à cette folle de quitter notre bonne petite ville pour courir après un vagabond étranger.

Puis ils ajoutaient, en relevant très haut la tête et en échangeant de grandes poignées de mains :

— Bonsoir, maître Joris, n’oubliez pas que nous votons demain. À demain, maître Joris.

Là-dessus, les cinquante bourgeois rentrèrent chez eux, pour apprendre la grande nouvelle à leurs femmes. Et ils s’écrièrent tous en entrant :

— Oh ! oh ! Voilà un souper qui embaume !

Et de fait, le souper embaumait, ce soir-là, plus encore que les autres soirs, dans toutes les petites maisons de la petite ville. En outre, sur chaque table, la nappe semblait plus blanche, les verres plus étincelants, la bière plus mousseuse dans le grand pot de grès, les fruits plus appétissants dans la belle assiette peinte de grandes fleurs joyeuses. Et tout cela réjouit le cœur des cinquante bourgeois, d’autant plus que les cinquante bourgeoises, sans exception, avaient un air aimable et riant, qu’égayait encore un bout de ruban noué au cou, une fleur plantée dans le corsage,