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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome I, 1917.djvu/31

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— Pose pas, mon petit, souffla le vieux cabot, c’est déjà bien joli d’pas l’avoir plus qu’tu l’as, pour une première audition. T’as raison, va ! Ils sont bêtes et gueulards, mais ils n’ont jamais mangé personne. Pas vrai ? Qué qu’tu vas leur envoyer ?

— La Fête de l’Amour ! déclama la petite.

— Avec cinq pâquerettes et six zouâzeaux à la clef… J’la connais. C’est peut-être pas délirant comme poésie et comme nouveauté. Mais y’en a cinq cents qui turbinent avec ça, tu peux bien faire la cinq cent et unième.

— Bien sûr, approuva la débutante.

— Écoute, dit le vieux, j’les connais, les poires de la salle. Puisque t’as pris le l’genre sérieux, faut qu’t’aies l’air sérieux, faut déballer l’machin avec chic et distinction. Ça leur en impose toujours. Avec ça, beaucoup d’points d’orgue, un peu d’sentiment, les pieds en équerre, les jarrets bien tendus, et le tour est joué… Attention, la gosse, c’est à toi !

Minouche s’effaça pour laisser passer les duettistes qui s’approchaient à reculons, se cassant en deux, de temps à autre, pour un grand salut au public. De la coulisse d’en face, elle vit surgir une pancarte où flamboyait le mot « Audition », et qui alla s’accrocher au manteau d’arlequin. Puis il y eut, dans sa poitrine, quelque chose de gros, de lourd, qui la gênait et qui lui faisait mal. Elle entendit une ritournelle familière, et une grosse main, plaquée dans son dos, la poussa vers la rampe, tandis que la voix éraillée de Ciboulot soufflait encore :

— Les pieds en équerre !… Les jarrets bien tendus !…

Devant elle, dans le grand trou plein d’une poussière lumineuse et dorée, où montaient des spirales bleuâtres,