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Une Rupture


Ils s’adoraient. Ils avaient tout ce qu’il faut pour être heureux : jeunes, bien portants, riches et oisifs, tous deux ; lui célibataire, elle mariée à un homme des plus raisonnables, qui tenait si peu de place dans sa vie qu’elle n’avait jamais à en parler à son amant. Ils avaient tout, tout, vous dis-je ! Et ils ont rompu, d’une façon définitive, irrévocable.

Ce fut dans un hôtel normand, un délicieux petit hôtel tout mangé de vigne-vierge et de chèvrefeuille, avec des pigeons roucoulant sur le toit, des poules picorant devant le seuil, et une grande cuisine fraîche, ombreuse, où l’on voyait de la route, par l’entrebâillement de la fenêtre, des cuivres rutiler gaîment dans le clair-obscur. Un vrai petit hôtel d’opéra-comique, bien fait pour plaire à cette Parisienne éprise surtout de simplicité très savante, de pittoresque astucieusement préparé, de naturalisme pomponné, poudrerizé. Ils l’avaient vu, doré par le soleil couchant, coupé d’ombres mauves et transparentes, un jour qu’ils passaient par là en automobile. Et, derrière le dos du mari, sourd et aveugle à tout ce qui n’était pas la route et le moteur, ils avaient murmuré en se griffant nerveusement les paumes :

— Comme on s’aimerait bien, là-dedans !

Moins de huit jours après, ils se retrouvaient à la gare Saint-Lazare, rajeunis, fébriles, dansant sur place