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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/35

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Alors, Zulma comprit qu’il était inutile d’insister, que c’était jour de guigne carillonnée, qu’elle déjeunerait encore par cœur, et n’avait rien de mieux à faire que de rentrer chez elle. Sur le palier, elle croisa sa voisine, la couturière, qui sortait, un énorme panier sous le bras.

— J’ai la flème, dit la danseuse, j’ vais pioncer une heure ou deux.

— Vous en avez, d’ la veine ! répondit l’ouvrière avec un soupir d’envie. Et elle descendit l’escalier en murmurant : Quel beau métier, tout de même !

Zulma rentra dans sa petite chambre déserte et sans feu, et sa figure s’assombrit soudain, comme si elle avait laissé tomber un masque joyeux et frivole, trop lourd pour qu’elle pût le porter longtemps. Elle n’aimait pas de penser aux choses tristes, mais cette fois, il y en avait trop. Elle se dit qu’elle était sans un rond, le ventre vide, n’ayant trouvé personne pour lui payer à déjeuner, et qu’il en serait sans doute de même pour le dîner. Elle songea que, plaquée depuis trois semaines par son dernier, elle avait vainement cherché un ami qui pût l’aider un peu. Et elle conclut tristement qu’il ne lui restait plus trois nippes à se mettre sur la peau, et qu’elle n’avait plus rien, rien au monde, rien que des dettes dans tous les coins, et l’ « œil » fermé partout.

Alors, sans force et sans courage, elle se laissa tomber sur son lit. Et, tout doucement, la figure cachée dans l’oreiller, pour qu’on ne l’entendît pas de la chambre voisine, elle râla, longtemps, longtemps, les poings aux tempes, buvant ses larmes âcres et salées : « Cochonne de vie ! Cochon d’ métier ! »