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bien en face, elle lui dit : « C’est moi que vous prendrez, s’pas, m’sieur jolimont ? »

« Toi ou une autre… » bougonna le régisseur. Il fit un signe, le son d’un piano monta des profondeurs du gouffre, et tous se mirent à chanter, à danser, comme s’ils venaient d’apprendre que chacun d’eux avait gagné cent mille francs à la loterie. Tout en valsant, Yoyo s’abandonnait aux bras de Jolimont, la tête pâmée sur son épaule. Et, même après que le piano se fut tu, après que Corentin eut crié aux partants : « Tout le monde en scène, pour le prologue, à huit heures pour le quart ! » elle resta là, serrée contre son danseur, comme si elle n’en pouvait plus. Mais lui la repoussa avec une froideur voulue, et, tout en époussetant son épaule blanchie par la poudre de riz, il proféra d’un ton rogue :

— Vous étiez blanchisseuse, avant d’entrer dans les chœurs ? »

— C’est rien, m’sieur Jolimont, dit la petite, toute penaude, ça fait pas tache.

Et elle demeura plantée devant lui, le regardant sans plus rien oser dire. Puis, quand il lui eut tourné le dos, elle s’en alla, tout doucement, comme à regret.

Jolimont continuait à se brosser l’épaule, méticuleusement. C’était un joli garçon de trente-cinq ans environ. Il avait une mise un peu trop soignée, un peu trop de bagues aux doigts, un peu trop de chaîne de montre, un peu trop d’épingle de cravate, un peu trop de brillantine sur des cheveux un peu trop bien peignés, et pas assez de talent.

Le gros papa Corentin vint lui taper sur le ventre. « Si vous voulez vous appuyer la petite Yoyo, opina-t-il, elle ne vous fera guère poser. Elle en pince, la gosse ! » Mais l’autre se redressa d’un air indigné.