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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/50

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de son théâtre, car il passait ses jours et ses nuits à courir après d’insaisissables bailleurs de fonds, et à essayer d’être pour les huissiers ce que les bailleurs de fonds étaient pour lui. Quant au régisseur, il s’enfermait dans son bureau pendant toute la soirée pour y combiner des martingales qu’il essayait à la salle de jeu après la représentation. Si quelqu’un allait interrompre ses calculs, pour quelque motif que ce fût, il lui collait inévitablement cent sous d’amende. Dans ces conditions, vous pensez s’il y avait moyen d’en machiner de bien bonnes. Et voici ce qui arriva à Sophie :

Le soir où le coup fut monté, Cajolle était tenu pendant les deux premiers actes. Mais on le tuait au deux, et il ne rentrait en scène qu’à la fin du quatre, où il jouait, la troupe n’étant pas très nombreuse, un second personnage, un commissaire de police qui entrait avec des gendarmes, en disant : « Emparez-vous de cet homme ! ».

Après le second entr’acte, alors que Cajolle avait déjà mis sa redingote et ceint son écharpe par-dessous, un monsieur se présenta au théâtre et demanda à lui parler. Il venait, ni plus ni moins, lui proposer un magnifique engagement pour Paris, de la part d’un directeur qui avait assisté à la représentation de la veille. Entre nous, le monsieur était mon propriétaire, un brave marchand de parapluies n’ayant jamais connu aucun directeur de théâtre. Mais ça n’empêcha pas Cajolle, qui ne se gobait pas à moitié, de s’embarquer avec empressement sur le bateau équipé à son intention, et d’accepter, pour débattre à l’aise les clauses de l’engagement, le verre que l’autre lui offrit d’aller prendre au café voisin.

Pendant ce temps, nous jouions, et Sophie soufflait.