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Monsieur Pomme de terre


— Non, s’écria Pagnier, le nouveau surnuméraire. Non, me faire recommencer cette besogne, que deux autres ont déjà faite et vérifiée avant moi, c’est par trop idiot !

Monsieur Boron, commis de première classe, répondit de sa voix traînante et sans inflexions :

— Monsieur Pagnier, vous n’avez pas l’esprit administratif. Si on lui donne à additionner cinq cents colonnes de zéros, le bon employé doit les additionner sans en sauter un seul et sans se permettre la moindre observation.

Ayant dit, il prit un peu de recul, les yeux clignés, la tête penchée sur l’épaule, pour contempler amoureusement le titre en grosse ronde, aux lettres ombrées de patientes hachures, dont il ornait la première page d’un registre.

Monsieur Boron, commis de première classe, dessinait tous les titres du bureau, et on lui en apportait même des bureaux voisins. Doué d’une patience irritante à force d’être imperturbable, il réalisait des chefs-d’œuvre de correction et de netteté, recommençant un travail de trois jours pour la moindre bavure survenue, mesurant pendant des heures la largeur des lettres, sans une hâte, sans une impatience, pour obtenir l’absolue symétrie des blancs ménagés à