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coteau, étalait le désordre amusant de ses toitures vieillottes. Plus loin, parmi la plaine s’étirant à l’infini, les champs, les bouquets d’arbres, la rivière serpentante, les fermes cachées sous la verdure, prenaient dans l’éloignement des tons d’une délicatesse exquise.

Et là-dessus s’étendait l’immense splendeur d’un ciel merveilleux, superbe et tragique à en crier d’admiration, d’un vaste ciel où, sur un fond d’or pâle à l’insoutenable éclat, troué de rayons, balafré d’éclairs, passait la fantastique chevauchée de grands nuages sombres, déchiquetés, rapides et violents, pareils à la fuite formidable d’une armée de Titans en déroute.

Monsieur Boron leva un instant, vers la féerie gigantesque et merveilleuse des nuées, le terne regard de ses yeux glauques et saillants.

— Un temps bien désagréable ! murmura-t-il en fronçant autour de son nez toutes les rides de son vieux visage.

Puis il se remit à regarder les pavés, selon son habitude, et ne pensa plus à rien qu’à l’endroit où il posait ses pieds.

Le vieux commis habitait, dans le faubourg le plus malpropre de la ville, une hideuse petite maison en briques noircies, flanquée d’un étroit jardinet où Madame Boron ne tolérait plus la moindre fleur, depuis les premiers mois d’occupation, parce que ça la gênait pour étendre son linge à sécher.

Monsieur Boron gagna directement la cuisine, dont il poussa la porte en marmottant un vague bonjour. Il ne leva même pas les yeux, sachant, sans avoir besoin d’y regarder, que sa femme était assise au coin de la cheminée, en train de ravauder des chaussettes. Elle répondit d’une voix morne, sans lever la tête, sachant d’avance, dans leur ordre exact, tous