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les gestes qu’il allait faire : échanger sa jaquette pelée et luisante contre un veston sordide, retirer ses bottines, chausser de vieilles pantoufles, enlever son faux col en celluloïd et le placer dans son chapeau, puis venir s’asseoir à l’autre coin de la cheminée, en se frottant les mains d’un geste machinal.

Un silence dura. Monsieur Boron rêvait, les pieds retirés sous sa chaise de paille, ses grosses mains mal soignées posées sur ses maigres cuisses. Enfin, il sembla sortir d’une méditation profonde, et prononça :

— Aujourd’hui, le chef portait un nouveau gilet.

Madame Boron réfléchit longtemps à cette nouvelle, sans cesser de tirer l’aiguille. Puis elle demanda :

— De quelle couleur est-il ?

Son mari ne répondit pas de suite. Il suivit des yeux le vol d’une mouche autour du ruban enduit de glu qui pendait au plafond. La mouche s’étant fait prendre, il contempla avec un profond intérêt l’ongle largement endeuillé d’un de ses pouces. Madame Boron attendait, sans impatience. Il répondit enfin :

— Brun… Il est brun, avec des boutons noirs et luisants.

Le silence retomba, très long. Puis la femme émis cette pensée :

— Avant mon mariage, j’ai eu une robe brune qui m’a duré bien longtemps.

Ils se turent de nouveau, pendant d’interminables minutes, jusqu’au moment où le mari posa cette conclusion :

— Oui, le chef a étrenné aujourd’hui un gilet brun.

Et il ne parla plus, regardant avec une attention soutenue, dans le cadre de la fenêtre, le mince filet de fumée qui montait d’une cheminée voisine.