Aller au contenu

Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52

Cinq heures sonnèrent. Sans prononcer une parole, la femme cessa ses ravaudages et commença les préparatifs du dîner. Monsieur Boron, un instant encore, resta à se frotter lentement les cuisses. Puis, s’étant mis debout d’une façon qui, venant de lui, pouvait être prise pour de la vivacité, il déclara d’un ton satisfait :

— Maintenant, je vais éplucher mes pommes de terre.

Successivement, il alla chercher une terrine pleine d’eau, un vieux panier où roulaient des tubercules grisâtres, les posa auprès de sa chaise, puis se rassit en étalant un torchon sur ses genoux.

Un petit couteau luisait dans sa main. Il le contempla longtemps, l’air rêveur, puis dit d’une voix machinale :

— Ce qu’il y a de mieux pour éplucher les pommes de terre, c’est un petit couteau de deux sous, bien aiguisé et bien pointu.

Cette phrase, comme l’appel à la joie et aux plaisirs, faisait partie du programme invariable de sa vie. Il la disait chaque jour, à la même heure, avant de commencer à éplucher ses légumes d’une main lente et soigneuse. Il la répétait, d’une voix obligeante, aux jeunes surnuméraires qui déclaraient, en s’efforçant de tenir leur sérieux, tandis que tout le bureau ricanait sous cape :

— J’ai lu dans un journal qu’on vient d’inventer une machine épatante pour éplucher les pommes de terre.

De quelque façon que la nouvelle fût formulée, la réplique ne manquait jamais :

— Tout ça, c’est des bêtises. Ce qu’il y a de mieux,