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de la ville, où il était allé faire des courses, il jeta un bout de carton sur le comptoir, en disant d’un air victorieux : « Regardeie une fois quoi est-ce que c’est qu’ça ! »

C’était un billet de troisième classe, Bruxelles-Paris et retour, pour un train de plaisir organisé à l’occasion des fêtes du 14 juillet. Une heure plus tard, toutes les commères de la chaussée répétaient, en faisant de grands yeux et de grands gestes : « Ça est quand même une hardie, Madame Willebroeck, qu’elle laisse partir son homme si loin ! »

Et Jef partit comme il l’avait annoncé, courageusement, malgré la perspective angoissante de passer cinq grands jours sans boire un verre de bière digne de ce nom. Mieux encore, il partit seul, car il dédaignait infiniment les gens du centre de la ville, qui ne sont pas de véritables Bruxellois, comme chacun sait, mais des êtres ridicules qui s’efforcent de « fransquillonner », de « jouer parisien ». Quant aux camarades de la chaussée, il n’y fallait pas songer. Aller à Paris ! Il n’y avait que ce Jef pour avoir des idées pareilles !

Il partit donc, muni d’une bonne somme calculée par Madame Van Willebroeck elle-même, de quoi s’amuser sans faire de bêtises. Il emportait aussi, pour le voyage, quelques « pistolets fourrés », ce que les Français nomment en anglais des sandwichs, et une demi-douzaine d’œufs durs. Puis (chut ! il n’en faut rien dire, à cause des douaniers), sous son gilet, dans des poches cousues la veille par sa femme, Jet avait glissé deux grandes bouteilles plates, tenant chacune plus d’un demi-litre, et pleines jusqu’au goulot de son meilleur genièvre. N’allez pas croire qu’il emportât cela pour lui. Ah mais non ! C’était pour le camarade,