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et de temps à autre un petit verre de genièvre, pour faire couler la bière. Cela lui faisait double plaisir, puisqu’il buvait à l’œil et faisait du même coup marcher le commerce. Ah ! c’était un homme heureux que Jef Van Willebroeck !

Et pourtant, une chose manquait à son bonheur : Il avait envie de voir Paris.

Ce n’était pas qu’il s’en fît une idée exagérée. Il en connaissait même tous les défauts. Il savait qu’on y est bien moins tranquille que lorsqu’on a le bonheur d’habiter la chaussée d’Etterbeek, qu’on y risque à chaque pas d’être écrasé par des voitures qui font un bruit assourdissant, et que, chose terrible, on n’y trouve ni faro ni lambic, ni même un pauvre petit verre de véritable brune, ce qui prouve, entre parenthèses, que ces fransquillons ne savent pas ce qui est bon.

Mais malgré tout, il avait envie de voir Paris. C’était son idée comme ça.

Et puis, il y avait là-bas son plus cher ami d’enfance, le compagnon de toute sa jeunesse, l’ébéniste Franz Wevelghem, qui était parti pour huit jours, en train de plaisir, il y avait plus de quinze ans, avait trouvé de l’ouvrage au faubourg Saint-Antoine, et n’avait jamais remis les pieds à Bruxelles, l’ingrat !

Jef s’était juré qu’il ne mourrait pas sans revoir son vieil ami Franz, et sans juger par lui-même si ce fameux Paris avait réellement tant de supériorité sur la chaussée d’Etterbeek. Il hésita pendant des années, tant on lui disait de mal de la bière qu’on vendait là-bas, et Madame Van Willebroeck, comptant bien que cette seule pensée suffirait à le retenir, souriait doucement quand il parlait de ses grands projets de voyage. Aussi fut-elle stupéfaite le jour où, rentrant