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contact de sa vaste poitrine, celui de Jef était devenu tiède, mais le pauvre homme avait trop soif pour s’arrêter à cela. Aussi, la première lampée ne l’ayant guère rafraîchi, il en but une seconde, puis une troisième, si bien que la bouteille se trouva à moitié vidée, et que jef fit cette nouvelle réflexion : « je ne peuie pas présenteie ça à un camarade. Je boirai la boutèle tout entière, et je dirai comme ça à Franz que je n’avais apporté qu’une. » Une demi-heure plus tard, la bouteille était vide, et Jef avait plus soif que jamais.

Il lutta pendant une heure, héroïquement, contre le désir d’entamer la seconde. Mais la soif devenait toujours plus forte, et la première bouteille, commençant à produire son effet, rendait l’autre plus tentante, comme il arrive toujours. Si bien que quand le train stoppa à la douane, Jef se trouvait en règle avec elle, et n’avait rien à déclarer, l’alcool contenu dans les estomacs ne payant point de droits. Il en conçut une vive admiration pour la malice dont il avait fait preuve, bien que n’ayant pas d’abord pensé à cela. Il crut devoir confier à son voisin de droite, en grand mystère, que ce pauvre vieux Franz allait être bien attrapé. Le voisin n’ayant pas répondu, mais s’étant retiré avec une moue singulière, Jef se rejeta sur sa voisine d’en face, une petite bonne femme en chapeau rouge, et lui proposa de parier pour un « demi-franc » qu’il allait descendre du train en pleine marche, et le suivre à la course jusqu’à Paris. La voisine grommela quelques mots inintelligibles, puis Jef crut voir soudain qu’il y avait deux petites bonnes femmes en chapeau rouge, puis qu’il n’y en avait plus qu’une, puis qu’il y en avait trois. Ensuite, tous les voyageurs du wagon se mirent à tourner tellement