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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/83

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vite, que Jef fut obligé de fermer les yeux, et qu’il les pria, en termes énergiques et même menaçants, de se tenir tranquilles. Puis il songea que son matelas devenait bien dur depuis quelque temps, qu’on y était vraiment mal couché, et qu’il faudrait le faire réparer par le voisin Jan Van Diepenbeeck. Puis il ne pensa plus à rien.

Une main le tira par le bras, tandis qu’on criait à son oreille. « Paris ! Tout le monde descend ! » Il descendit, sans savoir, sans se rendre compte. Un homme lui demanda son billet. Il le donna, et l’autre lui en rendit la moitié, que Jef serra dans ses gros doigts, machinalement. Il fit quelques pas, vit un banc, pensa que c’est bien agréable de trouver un banc quand on est fatigué, s’assit, et se rendormit aussitôt.

Combien de temps passa-t-il ainsi ? Personne n’en a jamais rien su. Un employé de la gare remarqua cet homme endormi, et le secoua en disant : « Hé, l’homme ! Vous ne pouvez rester là ! » Jef ouvrit un œil, murmura : « Je dors ! » et se remit à ronfler. « Il faut rentrer chez vous ; on ne dort pas ici ! » reprit l’employé. « Je dors ! » répéta Jef. « Où demeurez-vous ? » demanda l’autre. Et Jef, pour avoir la paix, répondit, sans même soulever ses paupières : « Chaussée d’Etterbeek, 233. »

L’employé se trouva fort embarrassé. Mais deux voyageurs, qui avaient suivi cette scène avec curiosité, s’approchèrent, et l’un dit à l’autre : « Ça est un Brusseler de la chaussée d’Etterbeek. On peut pas le laisseie ainsi. » — « Si on serait sûr qu’il est pour partir, proposa le second, on saurait le prendre avec nous-autres. » Jef n’avait pas lâché son billet de retour, dont un coin passait entre ses doigts. Son compatriote le tira, sans que le pochard parût s’en apercevoir.