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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/85

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à sa porte, en pleine nuit, elle pensa d’abord que le feu était à la maison, et poussa quelques cris perçants. Puis elle mit le nez à la fenêtre, vit une voiture, enfila un jupon, descendit en toute hâte, et fut stupéfaite en trouvant dans un fiacre, à sa porte, celui qu’elle croyait si loin. À toutes les questions qu’elle lui posa, il répondit sans ouvrir les yeux : « Chaussée d’Etterbeek, 233 ! » Il fut impossible de lui faire dire autre chose, et il fallut l’aide de la servante pour le déshabiller et le mettre au lit.

Le lendemain il s’éveilla à midi, et refusa d’abord d’admettre qu’il fût parti pour Paris. Ayant rassemblé ses souvenirs, il finit par reconnaître avoir pris le train au départ. Mais il ajouta : « Je suis parti, ça est sûr. Mais je suis encore plus sûr que je ne suis pas revenu, malgré que je suis ici. » On ne put rien en tirer d’autre, puisque, ne se souvenant de rien, il n’avait rien à dire. Et personne n’a jamais su jusqu’à quel point Jef Van Willebroeck était allé à Paris, ni comment il en était revenu.

Au fond, il est très fier d’avoir été le héros d’une aventure aussi extraordinaire, et, sentant bien qu’il n’aurait jamais eu la force de passer cinq jours sans boire un seul verre de faro ou de lambic, il n’a jamais essayé de retourner là-bas, et se contente de raconter à qui veut l’entendre dans quelles conditions étranges il y est allé.

Si vous passez un jour par la chaussée d’Etterbeek, n’essayez pas de vous vanter de vos lointains voyages. On hausserait les épaules en répondant :

— Weie, weie… tu peuie avoir éteie oùsque tu veuie, tu n’as jamais fait un voyage comme celui de Jef Van Willebroeck à Paris !


FIN.