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Page:Ista - Par un beau dimanche, 1921.djvu/26

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par un beau dimanche

vague notion de la propreté apparente. Le dimanche, les filles se parent de collerettes empesées, les gars de faux-cols en celluloïd. Mais nulle part, dans tant de chambres où me conduisit ma profession, je ne pus jamais découvrir la moindre brosse à dents. Pour en revenir à Jean Brisebois, il est très savant dans l’art de sélectionner la race porcine, de croiser les espèces, de choisir les reproducteurs les plus sains et les plus vigoureux. Mais, le mois dernier, il a marié sa fille à un ivrogne invétéré, fils et petit-fils d’alcooliques, déséquilibré notoire, et dont la postérité est appelée à souffrir mille maux, si le malheur veut qu’il ait des enfants.

— Les jeunes gens s’aimaient peut-être ! soupira la grande Joséphine d’un air langoureux.

— Il est possible que le mari aime sa femme, dit le docteur, car il le lui prouve tous les jours en la battant comme plâtre. Mais le mariage n’eut d’autre motif que l’argent, ou plutôt la terre, l’argument qui les prime tous chez les paysans. Deux domaines se touchaient et le mariage les fondait en un seul. Peu importe, dès lors, que les futurs possesseurs de ce bel héritage n’en puissent jouir que dans un fauteuil à roulettes ou dans un cabanon d’aliénés.

— L’argent est l’argent ! déclara M. Hougnot d’un ton pénétré de respect.

Le docteur ne chercha pas à relever ce qu’il trouvait de dangereux dans cette affirmation si incontestable en apparence. Trop heureux de voir que son beau-frère semblait avoir oublié l’aventure des tickets, il déclara qu’il était temps de se remettre en chemin. Par une route étroite et montante, dont les assises de rocher perçaient cà et là le sol mal aplani, les deux hommes reprirent leur marche, suivis à quelques pas par les deux jeunes filles, plus chuchotantes et plus affairées que jamais.