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par un beau dimanche

hypothèques dont elle était grevée. Sur quoi, épuisés, n’en pouvant plus, ils moururent presque aussitôt, à quelques mois l’un de l’autre. Ils moururent malheureux, inquiets, désespérés de n’avoir pu payer la ferme jusqu’au dernier sou, se demandant avec une angoisse infinie si leurs enfants parviendraient jamais à s’acquitter de cette tâche.

Mais ceux-ci étaient dignes de leurs devanciers. Soit par hasard, soit par misanthropie, soit par avarice concertée, les deux fils et les trois filles du ménage Créton restèrent tous cinq célibataires et suivirent sans défaillance les exemples de travail, d’économie et de malhonnêteté que leur avaient légués les vieux. Le goût des villégiatures à bon compte se développant parmi la bourgeoisie des environs, ils s’improvisèrent aubergistes, sans négliger en rien l’exploitation de la ferme, couchant sur la paille du grenier, pendant toute la période des vacances, afin d’abandonner aux touristes jusqu’à la moindre de leurs chambres. Outre cela, ils étaient éleveurs, marchands de bestiaux, de jambons, de volaille, voire de gibier quand la chasse était ouverte, même et surtout quand elle ne l’était pas. Ils battaient le pays, à trois lieues à la ronde, raflant à vil prix les mottes de beurre et les paniers d’œufs, les poules et les oies, les lièvres et les perdrix braconnés de la nuit même, chez tous les pauvres paysans qu’ils tenaient en leurs griffes, ayant pris la lucrative habitude de pratiquer l’usure et le prêt sur gages. Deux fois par semaine, l’un des frères chargeait la récolte dans sa grande charrette à double fond et l’allait vendre très cher à la ville voisine, d’où il ramenait le sucre et le café, les pioches et les faux, les tabliers et les blouses, les mille marchandises, de mauvaise qualité et de prix exorbitant, dont tous les débiteurs des Créton étaient