— Vous cubez les caractères, maintenant ? demanda l’ironique Hougnot.
— Je les cube, dit le docteur, par métaphore, ou plutôt par catachrèse, la psychologie étant une science si rudimentaire encore qu’on n’en peut guère parler qu’avec des mots empruntés à d’autres sciences plus avancées. Faute de termes plus exacts, je compare donc à de simples lignes géométriques les mentalités qui n’ont, en tout et pour tout, que des qualités innées : Un Inaudi, par exemple, merveilleusement doué pour les mathématiques, mais ignorant, et de caractère assez petit pour ravaler, à des pitreries de music-hall, l’extraordinaire faculté qui, surajoutée au cerveau déjà prodigieux d’un Newton, eût peut-être suffi à changer la face du monde. La ligne peut donc être d’une longueur démesurée, elle n’a ni valeur, ni force, si elle manque de largeur et d’épaisseur.
— Une ficelle, dit Hougnot.
— Un bout de fil, reprit Marie.
— Cette première dimension, continua le docteur, doit donc être, tout d’abord, renforcée par une seconde, c’est-à-dire par les qualités acquises : l’instruction et l’expérience. Tel est mon cas. Bien doué en plus d’un point, j’ai beaucoup étudié, beaucoup vu, beaucoup médité. J’ai donc multiplié mes qualités innées par mes qualités acquises, et cela me donne une surface fort appréciable, mais, hélas ! sans la moindre épaisseur qui me permette de résister avec avantage, dès que je me heurte à des êtres plus solidement construits…
— Mesdemoiselles, dit Hougnot, vous voudrez bien, désormais, nommer votre oncle : M. Feuille-de-Papier.
— Vous venez de dire le mot, repartit le docteur. Et j’ose affirmer que la feuille de papier est assez grande. Par malheur, il me manque la troisième dimension, ce je ne sais quoi que nous