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par un beau dimanche

ouvrir la porte, puis cogna de l’index à la fenêtre, en criant d’une voix mince et timide :

— Monsieur le Chef de Gare, s’il vous plaît ! Des pas traînants raclèrent le plancher, une serrure grinça, et la porte s’ouvrit. M. Brusy souleva son chapeau et dit avec un sourire amène :

— Bonjour, Monsieur le Chef de Gare. Dans la pénombre du wagon, une petite bonne femme de soixante-dix ans, plus large que haute, répondit sans sourciller :

— Bonjour, monsieur le docteur.

Son image, vue de face, inscrivait un triangle équilatéral dans le rectangle de la porte : Sous un chignon en pointe et un front d’une exiguïté rare, ses larges joues se continuaient par un cou plus large encore, presque aussi large qu’un buste très court et sans épaules, posé d’aplomb sur l’énorme cône d’une jupe en forme d’abat-jour, raidie et comme empesée par d’immenses taches de cambouis. Vue de profil, la petite vieille évoquait plutôt l’idée d’un informe écroulement de margarine : son menton, tel un goître, tombait sur sa poitrine ; sa poitrine tombait sur son ventre ; son ventre tombait sur ses genoux ; on ne voyait pas si ses genoux tombaient sur quelque chose. Telle était la mère Fahette, mieux connue dans le pays sous le sobriquet de « Monsieur le Chef de Gare ».

Quinze années auparavant, la surveillance de ce « point d’arrêt » étant devenue vacante, le fils cadet de la veuve Fahette avait passé de longs et laborieux examens, évincé une cinquantaine d’autres candidats, puis occupé la place de surveillant pendant six semaines, temps nécessaire pour mettre sa mère au courant de la besogne. Ensuite, il avait tranquillement émigré au Canada, où on le disait en train de faire fortune. Inapte à passer le moindre examen,