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en bas. Dans le récit de la nouvelle recrue d’Éros, ce pelotage exquis, bon travail de bon ouvrier, gradué avec adresse et science, avait duré longtemps, très longtemps, jusqu’à la rendre presque folle d’énervement, d’excitation, de plaisir inédit, insoupçonné. « Dame ! la première fois, avouait-elle, le commencement est meilleur que la fin ! » Et Zouzoune, l’âme en fête, allait à petits pas pressés, le long du boulevard, dans la nuit lourde et terne, vers cette joie exquise, attendue, escomptée, des longues caresses préliminaires. Sans préjudice de ce qui viendrait après, bien entendu.

Jaillissant de l’ombre, à côté d’elle, une voix grasse proféra :

— Dans l’enceinte sacrée en ce moment s’avance, un jeune homme, un héros, semblable aux immortels… Voltaire !… T’aboules tout d’même la môme… Sans fard, y’a pas loin d’une demi-plombe que j’croque eul’ marmot !

À ce langage, où s’alliaient de si pittoresque façon le style le plus noble et les termes les plus familiers, Zouzoune reconnut son futur vainqueur. Car Sosthène Flambard, féru de poésie classique, émaillait ses propos, avec une inlassable constance, de citations apprises par cœur en des volumes dépareillés de la boîte à cinq sous, et adaptées à son sujet tant bien que mal, souvent beaucoup plus mal que bien. Loyalement, pour qu’on ne crût pas l’auteur de cette phrase, par exemple : « Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur ! », il faisait suivre chaque citation du nom du poète responsable, lancé tout de go, sans explication complémentaire, comme ceci :« Amour, tu perdis Troie !…  Le Fontaine ! » Mais sa vive estime pour un langage noble et châtié ne se manifestait pas plus avant, et le surplus de ses discours n’était remarquable que par une extrême abondance de termes argotiques, qu’aggravait l’accentuation canaille d’une grasse prononciation faubourienne.

— Si je suis un brin en retard, c’est que j’ai voulu me faire belle, afin de te plaire, répondit gentiment Zouzoune.

Et déjà elle tendait le bec, pour une première dégustation des baisers savants, inconnus, ensorceleurs, décrits par son ami. Mais Sosthène, les sourcils froncés, ne songeait, chose bien plus importante, selon lui, qu’à se souvenir d’une belle phrase bien ronflante, exprimant sa pensée, ou à peu près.