Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/202

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Sur cette ville, Dieu paraît avoir tamisé toute la poussière grise et ouatée des quatre coins du monde ; en y descendant je crus que j’y laisserais mon âme.

Je m’étais habillé en costume de citadin grec pauvre, pour passer inaperçu. Les autres effets, enveloppés dans un gros mouchoir, je les portais sous le bras, tandis que mes bijoux et les livres turques, je les avais dans le Kémir[1], à même la peau du ventre. Ainsi déguisé, je me sentis à l’abri de toute « protection » non désirée ; et j’allai, par les ruelles qui sont de vrais tunnels traversant les maisons, demander une chambre bon marché du côté de la ville appelé Cadèm. L’aubergiste grec me répondit que, pour coucher à bas prix, il fallait prendre une chambre à deux occupants. J’acceptai. Allant la voir et poser mon baluchon, je demandai qui était le compagnon qui couchait dans l’autre lit.

« Un homme comme toi ! » fit-il, bourru. L’angoisse me prenait à la gorge. Mon pays, Kyra, maman, s’enfonçaient dans un lointain ténébreux à jamais disparu pour moi ; et moi, à jamais transplanté, que cherchais-je dans cette sinistre ville ? Par quel moyen espérais-je encore retrou-

  1. Large ceinture porte-trésor, commune en Orient.