Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/211

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j’attribuerais à l’être humain sur la bête. Il n’en est rien !

Je ne me souviens plus très bien, — car il s’est passé cinquante ans depuis, — comment j’ai quitté ma chaise et la cour de l’auberge, par où j’ai passé, avec ma tête vide, pour traverser toute la ville. Mais je sais que pas une seule main n’est venue se poser sur l’épaule de cet adolescent aux yeux hagards, qui marchait comme un automate ; pas une voix, pas une face humaine ne s’est présentée pour s’intéresser à moi ; et c’est dans cet état d’inconscience que je me suis trouvé, par ce beau matin d’avril, sur les allées de la promenade damascène appelée Baptouma.

Je fus ramené à moi par la rage et les jurons d’un cocher arabe qui avait failli me renverser. Alors je me tâtai la ceinture, où il n’y avait plus de Kémir ; je sentis mon cœur se débattre comme un oiseau dans la main, en même temps qu’une boule montait de l’estomac et me coupait la respiration. Ce mouvement devint un tic atroce. Chaque fois que je portais la main à la ceinture, mon cœur était traversé par une frayeur qui m’étouffait, et j’avais sans cesse besoin de me convaincre que c’était vrai, que j’étais bel et bien la victime de ce forfait, que je n’avais plus mon Kémir.