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Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/232

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qui n’ont pas cessé de vivre du souvenir, car il n’y a pas de souvenir sans présent. On a beau vouloir mourir. Je l’ai voulu, sincèrement, plusieurs fois dans ma vie. Mais les belles figures de mon passé se sont présentées vivantes, m’ont adouci le cœur, ont remplacé l’amertume par la joie, et m’ont obligé encore et de nouveau à chercher le baume éternel sur le visage des gens. Une de ces belles figures fut Barba Yani.

Je ne peux rien, ou presque rien raconter de lui : huit années de ma vie furent soudées à la sienne… Diarbékir, Alep, Angora, Sivas, Erzéroum, cent autres petites villes et villages furent parcourus par nos deux ombres. Nous ne vendîmes pas rien que du salep. Tapis, mouchoirs, coutellerie, baumes, drogues, parfums, chevaux, chiens, chats, tout passa par nos mains, mais ce fut toujours le brave salep qui nous tira de la misère. Lorsqu’une mauvaise affaire nous jetait sur la paille, on allait vivement chercher les ibriks, les pauvres ibriks rouillés. Et alors : « Salep ! Salep ! Voilà les salepgdis ! » On se regardait et on riait…

On riait, oui, parce que Barba Yani était un ami incomparable ; mais la cause du désastre c’était toujours moi, l’incomparable gaffeur. Entre maintes autres gaffes, je me souviens d’une qui fut solide.