Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/233

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Nous venions de mettre tout notre argent dans deux beaux chevaux, achetés à une grande foire, à environ quinze kilomètres d’Angora. On était content, on avait fait une bonne affaire. En route, de retour — un peu par contentement, un peu à cause de la fatigue, — l’envie me prit de faire halte devant un cabaret solitaire. Il faisait nuit. Barba Yani s’y opposa.

« Laisse ça, Stavraki ! Poussons jusqu’à la maison. Là, on se paiera un verre.

— Non, Barba Yani, ici !… Une minute, seulement. C’est pour honorer notre chance. »

Le pauvre homme céda. Nous attachâmes les bêtes à un poteau dehors. Et, les yeux à la fenêtre, nous nous honorâmes d’un verre. Puis d’un autre. La faim nous tenaillait. Nous mangeâmes sur le pouce. Et une carafe, qui fut suivie d’une autre, car Barba Yani ne crachait pas, lui non plus, sur la bonne vie. Les cœurs se mirent en branle. Nous chantâmes :

De nouveau tu t’es saoûlé !…
De nouveau tu casses les verres !…
Ô, la vilaine bête que tu fais !…

Mais au milieu de la chanson, Barba Yani s’arrêta. Calme, le regard sur les carreaux noirs, il dit :