Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/27

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son visage supprimés, les traits adoucis, les yeux très ouverts, fixes et lumineux, regardait l’épicier à la mine bouffie et renfermée, et disait, timidement mais fermement, pendant que l’autre approuvait de la tête :

« Kir Margoulis… Ça va mal… Il ne fait pas chaud et la limonade ne se vend pas… Je mange mes économies et votre sucre… Donc, c’est compris ? Cette fois encore, je ne paie pas, hé ? Ce sera comme les autres fois : si je meurs vous perdrez les dix francs. »

Et le marchand, avare mais se connaissant en hommes, accordait le crédit, avec une poignée de main sèche comme sa vie.

Dehors, la marchandise sous le bras, Stavro se dépêchait de faire un calembour, de donner une tape à quelque vague connaissance, et de sauter sur une jambe :

« Je l’ai roulé, Adrien, je l’ai roulé ! » glissait-il à l’oreille du jeune homme.

« Mais non, Stavro ! » protestait Adrien ; « tu ne l’as pas roulé : tu paieras !…

— Oui, Adrien, je paierai, si je ne meurs pas… Et si je meurs, le diable le paiera !…

— Si tu meurs… Ça c’est une autre affaire… Mais tu dis l’avoir roulé : cela signifierait que tu serais malhonnête…

— Peut-être que je le suis…

— Non, Stavro, tu veux me tromper ; tu n’es pas malhonnête ! »