Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/48

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cinq ans, je possédais un peu d’argent et trois langues orientales, mais j’avais presque oublié le roumain. Les gens de mon enfance ne m’ont pas reconnu et cela m’allait très bien : je ne voulais pour rien au monde être reconnu. D’ailleurs, j’avais même des papiers comme raïa[1]. Parlant mal ma langue, j’ai donc passé pour un étranger.

« Pourquoi revenais-je dans mon pays ? Pour rien et pour une grande chose. Pour rien, parce que je n’avais plus de racines dans le sol où j’avais vu le jour et parce que je me trouvais bien à l’étranger. Cependant, ce bien n’était qu’apparent. Je menais une vie libre, nomade, mais vicieuse. De la femme, je ne connaissais que la sœur et la mère : l’épouse ou l’amante m’étaient inconnues. Et je les désirais ardemment ; mais j’avais peur de les approcher. — Voilà une chose que vous ne connaissez pas, Mikhaïl !… Ah, que de tort on fait dans la vie ! Lorsqu’on voit un homme estropié d’une jambe, ou d’un bras, personne ne lui jette l’opprobre, chacun a de la pitié ; mais tout le monde recule, personne n’éprouve de pitié devant un estropié de l’âme !… Et pourtant c’est le pilier même

  1. Sujet ottoman.